lundi 1 mars 2010

Shutter Island : baroque ?

Tout appelait à l'adaptation cinématographique. Tout d'abord le décor : l'oppressant huis clos de l'île, une disposition des lieux très géométrique et une tempête d'éléments. De plus, la bande dessinée s'était déjà révélée très proche du cinéma par les choix dans la disposition des cases de De Metter.

Il est particulièrement étonnant de voir à quel point le film de Scorcese se rapproche des choix du dessinateur dans la mise en scène des plans se passant dans la réalité. Pourtant, contrairement à De Metter, Scorcese rend plus instable la fragile frontière entre vérité et délires oniriques, au point de déstabiliser le spectateur même. L'enjeu de Scorcese semble être plus celui de réaliser une œuvre baroque, qu'un film d'épouvante.

Les analepses et les rêves se confondent et s'imbriquent les uns dans les autres. Dans la même esthétique baroque, Scorcese fait planer le doute sur la vérité même de la folie. En effet, là ou la bande dessinée ne laisse flotter aucune hésitation quand à la folie de Teddy Daniels, le film insuffle l'incertitude par le discours de Rachel Solando : « quand un médecin vous a déclaré fou, quoi que vous fassiez, vous ne faites que confirmer ce qu'il a avancé »
Pourtant, cette incertitude même se retourne à la fin du film quand les regards des médecins se font face pour constater que la folie de leur patient ne s'est pas envolée. Mais, le sourire final de Di Caprio fait douter de cette dernière certitude. Il se laisse emmener vers le phare alors même que l'idée d'expérimentation sur les cerveaux est sensée venir de sa propre folie...
Folie et vérités officielles s'entremêlent pour former une sorte d'évidence incertaine et bancale.

Le doute pour Teddy Daniels est partout. Mais, il en va de même pour le langage cinématographique. Dès le début du film, la musique se fait oppressante alors même que rien d'effrayant ne s'apprête à tomber. Une fois l'ambiguïté de la musique établie, Scorcese se joue d'elle en portant le suspens par l'absence de musique, à la manière des Oiseaux d'Alfred Hitchcock. Il en va de même pour la lumière. Comme dans Shining de Kubrick, la forte lumière apparaît tout aussi angoissante que le noir profond. Mais là où, dans Shining, elle dévoile l'horreur, la lumière de Shutter Island agit comme des coups : elle extrêmement brutale et brève (effet d'autant plus amplifié dans les grandes salles noires des cinémas)
Comme dans de nombreuses pièces baroques, le dérèglement résulte d’un traumatisme : Hamlet apprend que son père a été assassiné par son oncle, Macbeth entend la prophétie des sorcières. Dans Shutter Island, le choc provient de la libération des camps nazis. Un énième film larmoyant et manichéen sur la shoah ? Non. Scorcese ne s’interroge pas sur l’histoire mais sur l’homme. Comment un homme peut-il vivre enchaîné à la culpabilité concentrationnaire ? (la culpabilité étant ici tout autant la libération tardive de Dachau que l’assassinat sans procès des soldats allemands s’étant rendus).
L’homme perd la foi en son pays (qui ne cesse d’être comparé à l’Allemagne nazie). Le couple se désagrège dans la démence alors que pleut sur lui une nuée de cendres. La femme tombe dans la folie et en poussière. Les fantômes des victimes se relèvent pour demander pourquoi on ne les a pas sauvées…

Alors que Teddy Daniels s’accroche en vain au passé d’avant guerre. Ses cris, jetés à la face des spectateurs, semblent nous dire : « il fut un temps où la cervelle étant ôtée, l’homme mourrait, c’était fini : mais maintenant ils se relèvent avec vingt meurtres mortels sur leur crâne et nous poussent de nos sièges… C’est plus étrange que le meurtre même » (Macbeth)

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